mardi 19 mai 2009

Les yeux dans les yeux


Depuis Tokyo, je suis devenue curieuse des gens au point d'avoir pris l'habitude de regarder avec insistance chaque personne que je croise, essayant de plonger au fond de leurs yeux pour capter la lueur qui éclaire leur regard. Ici, c'est une attitude que je peux me permettre. Les japonais sont trop polis pour me rabrouer si cette intrusion les dérange. Aucune agressivité, impensable un "Qu'est-ce que t'as, tu veux ma photo ?" aboyé, ils se contentent de baisser les yeux d'un air embarrassé pour couper le contact. Je peux donc jouer la voyeuse d'âme en toute impunité.
Ces jeunes garçons branchés, ces jeunes filles fragiles, ces hommes en gilets et vestes sombres, mêmes ces dames minuscules, vieilles, si vieilles qu'on jurerait qu'elles ont dépassé l'âge d'être mortes, tous ces gens avancent d'un pas si déterminé que ça m'impressionne. Ils ont l'air de savoir parfaitement où ils vont. N'ont-ils pas mes doutes et mes hésitations, sont-ils si sûrs que le chemin qu'ils suivent au pas de charge est le bon ?
Si oui, je les envie. Comme cela doit être reposant ! Mais je me doute bien que de ce côté du monde, les choses ne sont pas non plus aussi simples, ce qui me rassure autant que cela m'attriste.
Alors, depuis que mon imagination s'est remise à galoper, j'essaie d'imaginer l'univers qui peuple la bulle de solitude de tous ces gens qui passent. Je leur invente des histoires incroyables ou banales, des familles bruyantes ou des appartements vides, des grandes joies et de petites peines – parce que je ne suis pas si cruelle – en fonction d'indices aussi déterminants que la couleur d'un sac, l'inclinaison d'une tête, la manière de mordre dans un onigiri.
Ces gens repartent chargés de la deuxième vie que je leur ai inventée, et je me demande parfois laquelle ils préféreraient si on leur demandait de choisir entre la vraie ou celle que je leur ai rêvée. 
Ca m'étonnerait si peu d'apprendre que je suis plus douée pour imaginer la vie des autres que pour diriger la mienne...

Uran

1 commentaire:

  1. Le bonheur, c'est peut-être ça : l'imagination. Quand on en manque, il ne reste que les platitudes de la vie.
    (Henri Duvernois : Extrait de "Un Gentleman-farmer")

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