jeudi 16 avril 2009

Gei-chachacha

Stef a découvert la peinture à l'huile et trouve que ça convient bien à son style. Enfin, pour peu que style il y ait, parce que pour le moment, elle le cherche, et se dit que ça risque de prendre pas mal de temps avant de le trouver.
Voyez-vous, son gros problème, c'est qu'elle aime beaucoup trop de choses beaucoup trop différentes. Alors ses dessins se teintent d'un peu de ceci, d'un peu de cela, au hasard des derniers coups de coeur.
Et dans ce puzzle d'influences et d'envies, elle ne sait pas très bien à quoi elle ressemble, elle.
Ou peut-être elle le sait trop bien mais ne veut pas se laisser faire. Parce qu'elle a souvent l'impression que ses crayons et ses pinceaux prennent le pouvoir et n'en font qu'à leur tête. Et pourtant, la main, le poignet et l'épaule bataillent ferme. Mais rien n'y fait : un angle qui s'arrondit, un fondu qui s'adoucit, un trait qui s'estompe, et le dessin ne se ressemble plus. Et les pinceaux crient victoire. Et Stef regarde le résultat avec perplexité, osant à peine se poser la question : se peut-il que ce soit ça mon "style" ? Quelque chose d'un peu trop doux, d'un peu trop lisse, d'un peu gentil... elle qui rêverait souvent de plus de rébellion, de cris et de fureur sur sa feuille.
Mais quand elle essaie, et que parfois, croit-elle, elle remporte enfin une petite bataille, elle regarde son dessin d'un air non moins perplexe : est-ce que ça ne sonne pas un peu faux ? Est-ce que l'acharnement esthétique ne lui a pas fait perdre l'essentiel en chemin : coucher sur le papier une émotion, un imperceptible état d'âme, une atmosphère. Raconter par l'image plus subtilement que par les mots. Ce qu'elle vient de dessiner n'est-il pas tout aussi vide de sens qu'une page blanche ?
Bref, Stef se pose beaucoup de questions, et pour l'instant ne trouve pas beaucoup de réponses.
Elle aimerait avoir les certitudes de l'amoureux, qui trace son chemin avec plus d'assurance, au moins sûr de ce qu'il ne veut pas si pas toujours de ce qu'il veut. Elle a, comme lui, fait de belles rencontres mais n'a pas su, comme lui, précieusement les entretenir, pas assez consciente qu'on a besoin de guides pour avancer. Alors, elle tâtonne, pour l'instant un peu seule, un peu dans le brouillard, un petit pas devant l'autre, mais sans douter qu'un jour crayons, pinceaux, main, poignet et épaule parviennent enfin à faire la paix.

Uran

9 commentaires:

  1. j'aimerais te livrer un haïku qui serait un commentaire à ton texte.
    Il serait à la fois léger, juste et profond.
    Ma réponse te convient?
    ...non, je crois que je ne vais pas m'en tirer si facilement( à suivre)

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  2. Il y a tant de gens sûr d'eux. C'est une force pour eux, c'est sûr.
    Le doute peut être un vrai moteur, pour qui peut l'apprivoiser, l'accueillir puis vivre avec lui.
    Le doute accompagne l'humble,le fragilise,le construit, le rend fort finalement. Ainsi, c'est une maturité qui se met en place.
    Le "style", son "style". Il ne se construit pas, ou alors, quelle lourdeur.
    Quand on le cherche, il s'échappe habilement.
    Il apparaît, quand on ne l'attendais pas, ou quand on ne l'attendais plus (à suivre)

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  3. J'accueille avec humilité les mots de guru JPB – pour te rassurer, guru dans le sens indien du terme of course, professeur respecté, bien loin des dérives sectaires qui sont venues parasiter ce joli titre.
    Puissent-ils éclairer une jeune illustratrice à la dérive aussi sûrement qu'un jeune photographe ambitieux.
    Je garde en tout cas en mémoire ces 3 mots, léger, juste et profond, comme de précieux compliments, à utiliser comme fil d'Arianne pour me guider dans mon brouillard.
    Que mes dessins inspirent légèreté, justesse et profondeur, je n'aurais pas envie d'en demander plus.

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  4. Agir selon son plaisir, quel beau programme...tu ne te rend pas compte. Cela te fait du bien, et en plus, bien souvent, ce plaisir est communicatif.
    Et voilà que le dessin qu'on a tellement aimé faire plaît aussi à d'autres. Il a du sens.
    Bon d'accord,il faut quand même avoir aussi du talent, pour communiquer de cette manière.
    De toute façon, si on s'est déjà fait plaisir,
    ce n'est déjà pas si mal; non?
    Il y en as qui agissent selon leur(s) obsession(s),jusqu'a épuisement.
    Les résultats peuvent être fascinants, mais la trajectoire n'est pas forcément drôle.(à suivre)

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  5. Bon, ma tête est un peu lourde.Je crois qu'une bonne nuit me fera du bien.
    Pour terminer, j'ose un haïku pour toi, Stéphanie:

    "même poursuivi
    le papillon
    jamais ne semble pressé"
    Garaku

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  6. Il fait gris ce matin à Bruxelles. Tout semble normal.
    Je relis encore une fois ton texte.
    Je regarde tes dessins, peintures, photos et commentaires, etc.
    Je me dis que tout ça tient très bien ensemble.
    Je ne sens pas que ce soit un problème pour toi,
    d'aimer des choses différentes.
    J'ai l'impression d'être dans le même univers.
    Ne serait-ce pas un peu cela, le "style", un "style"?

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  7. Les courants, les styles, les manières sont les ennemis premiers de la création.
    [Claude Lelouch]

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  8. Mais mes doutes vous inspirent on dirait ! Chouette, ça fait plaisir à voir. Je continue à être preneuse de toute réflexion susceptible d'éclairer ma lanterne...

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